« Ma tante Sido » Jacqueline Girard Pastouret
Le 20 novembre, je n’oublierai jamais cette date, je reçus un appel de la gendarmerie qui m’apprit le décès de ma grand tante, ma seule famille.
Mon interlocuteur demandait à me rencontrer au plus vite, certains détails ayant intrigué le médecin qui avait alerté la gendarmerie.
Il m’attendait à l’arrivée du train.
A la maison, ma tante reposait encore sur le sofa ou l’infirmière l’avait trouvée.
Un moment douloureux, je réalisais que je la voyais pour la dernière fois, elle à qui je rendais visite aussi souvent que possible.
Elle me faisait partager ses souvenirs, je lui parlais de mes élèves et nous avions en commun la passion de la lecture. Passer du temps avec elle était un plaisir car elle était restée étonnamment jeune d’esprit, curieuse et ouverte sur le monde.
L’officier de gendarmerie se révéla commissaire et me demanda de faire la liste des personnes qui approchaient ma tante quotidiennement.
Je compris malgré sa manière détournée qu’il voulait également connaître mon emploi du temps de ces derniers jours.
« Absurde », ma grand tante, je l’appelais affectueusement Tante Sido ne pouvait pas avoir d’ennemis.
C’était une nonagénaire active depuis son veuvage il y a plusieurs décennies, je n’avais pas connu son époux, elle vivait seule, dans une de ces villas majestueuses propres aux stations balnéaires bourgeoises de la Côte Fleurie, où peintres et écrivains viennent chercher l’inspiration dans ces paysages magiques des bords de mer.
La maison centenaire, restée élégante,offrait une façade aux pans en bois foncés sertis sur la pierre blanche, les pignons fleuris donnent ce cachet typique de l’ architecture de la Belle Époque.
Ses revenus confortables lui permettaient de jouir de la vie en toute sérénité.
De caractère enjoué, elle était généreuse, bienveillante, grande lectrice elle revendiquait le péché de gourmandise, sa tisane de l’après midi, mais toujours agrémentée d’ une assiette de gâteaux, qu’il y peu de temps encore, elle tenait à confectionner elle-même, parfumés à l’eau de fleur d’oranger, utilisant fidèlement de veilles recettes familiales.
Ce n’était pas une personne à la vie mouvementée
Toujours habillée de chemisiers blancs, le plastron finement plissé, un col rond en dentelle orné d’ un camé, les poignets des manches fermés par une perle. Un léger cardigan de laine grise , un pantalon noir au pli parfait, complétaient sa tenue, été comme hiver.
Cette élégance discrète donnait à son allure un charme désuet et attendrissant .
Son visage aux yeux pétillants était peu marqué par les ans, et ses joues bien pleines n’avaient jamais connu de maquillage. Elle utilisait une eau de toilette, mélange de fleurs blanches, oranger, seringas et lys soutenu par la suave odeur de la violette.
Lorsque j’étais enfant, j’adorais me faufiler dans sa chambre pour en respirer goulûment la douce fragrance , je revois le grand flacon ventru au verre épais incrusté d’abeilles.
Pendant quelques heures, la maison fourmilla des allées et venues de médecins, de policiers, de photographes, puis ce fut le silence, je me retrouvais seule, errant d ‘une pièce à l’ autre.
Je remis un peu d’ordre dans le salon, , son cardigan était resté sur un fauteuil, je sentais les larmes m’envahir lorsque je le portais à mes lèvres, j’allais retrouver l’odeur subtile et poudrée de son parfum , sa petite coquetterie.
Je le reposais doucement, dans une poche, un papier crissait sous mes doigts. Je le dépliais, je reconnu l’écriture fine et précise de Tante Sido.
Certains mots étaient écrits en caractères plus foncés, comme s’il fallait les lire plus attentivement.
Un Crime sera commis.
Une Ténébreuse Affaire, les Diaboliques vont faire des Ravages, le Notaire du Havre, il habite au Mas Théotime avec Lolita, l’Ingénue Libertine, il rencontre Monsieur de la FERTE, le Joueur, l’Âme Obscure, celui Pour Qui Sonne le Glas. Ils se retrouvent dans le Cabaret de la Belle Femme, aux Grilles d’Or, avec Alberte, Rebecca, les Dames Galantes, Isabelle, la Dame de Pique, Gigi, le Diable au Corps.
Tante Sido m’ayant laissé à dessein cet étrange texte, je me devais d’ en trouver le sens, avant de le montrer à la police.
Je ne pouvais pas rester dans le salon, avec l’image du corps sans vie de ma chère tante, des policiers furetant partout et les doutes planant sur la cause réelle de sa mort.
Je m’installais dans la bibliothèque, un feu toujours prêt a être allumé. Je craquais une allumette, je me sentis moins seule, les flammes en plus de me réchauffer mettaient un peu de vie et de couleurs dans cette pièce.
Je parcourus machinalement les rayonnages et tout à coup, je compris.
Chaque mot correspondait à un titre de livre ou à un personnage, une histoire se déroulait sous mes yeux, les premiers mots me firent frissonner :
« un crime sera commis »
Je m’interrogeais, « un crime sera commis » par qui, quand, comment, pourquoi ?
Ma tante voulait elle me désigner un coupable ? Se sentait -elle menacée ?
C’était une vieille dame très riche, tout le monde le savait même si elle ne faisait pas étalage de ses richesses, soucieuse seulement de son nom , mais son héritage pourrait être un motif de convoitise.
J’étais désorientée, perplexe.
La police m’avait demandé les noms des personnes de son entourage, étaient ils suspects ?
Seulement trois personnes l’approchaient régulièrement, j’étais presque certaine de leur moralité, mais l’appât du gain peut faire changer les meilleurs, j essayais de réfléchir sur ce que je connaissais de chacun d’ entre eux.
L’infirmière, elle était chargée depuis plusieurs années, du suivi des médicaments c’est une dame austère même revêche, tenue en haute estime par notre ancien médecin de famille. Célibataire, une cinquantaine d’année, une petite voiture rouge brinquebalante, sans prétentions vestimentaires car toujours habillée d’un pull et d’une jupe plissée bleu marine sous sa blouse blanche fermée par quatre boutons.
La femme de ménage, elle s’occupait de la maison depuis plus de quinze ans, elle se plaignait sans cesse de son mari, soi disant buveur et paresseux, je savais ma tante généreuse avec elle,
Le jardinier un homme taciturne, sans âge, je l’avais toujours vu courbé sur les plate bandes s’évertuant à arracher les mauvaises herbes ou maniant un grand ciseau pour tailler les buis, cigarette coincée au bord des lèvres, vieux chapeau fané et bosselé posé de guingois sur son crâne dégarni.
Parmi ces 3 personnes, je n’arrivais pas à voir un meurtrier. Il y avait bien deux autres personnes qui gravitaient régulièrement autour de ma tante, je ne les appréciais pas, mais est ce suffisant pour en faire des meurtriers ? J’essayais malgré tout de donner des renseignements précis à la police.
Son nouveau médecin, recommandé par notre médecin de famille, qui avait pris sa retraite. J’avais eu ‘occasion de le rencontrer, il m’avait fait une impression mitigée, je le trouvais falot, peu énergique, la poignée de main molle et collante, celle d’une personne veule et influençable.
Ma tante détestais les commérages, mais elle m’avait un jour que sa femme, jeune et très jolie reprochait à son époux son manque d’ambition et ses maigres revenus. Elle passait son temps à courir les boutiques de mode,
n’hésitant pas à endetter le ménage pour s’offrir tout ce qui lui faisait envie. J’avais eu l’occasion de croiser cette jeune femme chez ma Tante, à qui elle rendait visite de temps en temps et je n’avais pas gardé une bonne impression.
L’autre personne était une femme d’une quarantaine d’années, son mari l’avait quittée, c’était une cousine éloignée d’une relation de ma tante. Sans emploi, avec trois enfants, elle était à la charge de sa cousine.
Ma tante pour lui rendre service lui avait demandé de venir revoir toute la lingerie de la maison.
J’étais venue un jour où elle officiait, et j’avais été choquée par son attitude, elle ouvrait toutes les armoires comme si elle était chez elle, évaluait, commentait l’ancienneté du linge, qu’il s’agisse de mouchoirs en dentelle ou de drap brodés, rangeait à sa façon sur les étagères pour finalement dire à ma tante que la moitié du linge déballé était à repasser et qu’elle le ferait tranquillement chez elle. Sournoise et maligne, elle rajoutait que dans ce cas elle ne compterait pas ses heures de travail. Ma tante ne voyait pas son manège. mais j’avais compris que les paniers emportés ne revenaient pas entiers à la maison.
Le besoin d’argent, l’envie , ces mobiles peuvent -ils faire basculer dans l’horreur ?
Venant de cette femme, rien ne m’étonnerait, je n’oubliais pas le médecin, poussé à bout par son épouse il aurait pu aussi commettre un geste irréparable. A la police de faire son travail. Je ne savais plus que faire, que penser
En retrouvant ces titres de livres, une histoire s’était mise en place, j’avais tiré un fil de la pelote mais le mystère demeurait… Quelle étrange affaire, elle m ’empêchait de dormir, assaillie d’interrogations.
Heureusement, quelques semaines plus tard, le commissaire m’apprenait que l’enquête était close, les doses élevées de barbituriques décelées ne paraissaient pas de nature à avoir mis la vie de ma tante en danger. Son grand âge et les années de traitement en continu pouvant l’expliquer.
Quelques semaines plus tard, ma Tante Sido, reposait auprès de son défunt mari, je fis graver sur le marbre, une photo datant de leur mariage, ils sont souriants et amoureux.
Je fus convoquée chez le notaire, il me tendis une lettre, selon les dernières volontés de ma tante, je devais la lire avant d’accepter son héritage. Je l’ouvrais, j’en retirais une feuille très fine, je sentais les larmes me piquer le bord des paupières, je ne devais pas pleurer, mais le doux parfum de violette et de verveine de son papier à lettres me surpris, m’empêcha de surmonter mon émotion, je sentais des larmes couler sur mes joues, le notaire, discret, quitta la pièce, peut être dégoûté par des reniflements que je n’arrivais pas à calmer .
Ma chère enfant,
Je dois de te faire un aveu qui me coûte et a pesé sur ma conscience.
Il s’agit de ton oncle, j ai découvert que mon cher mari avait rencontré son âme damnée, un vieux notaire, ils avaient projeté de m’éliminer pour profiter de ma fortune à leur aise. J ‘ai compris qu’il me faudrait agir la première.
Un scandale pouvait éclater à tout moment, éclabousser le nom de notre famille, nous avons compté des membres éminents du clergé et plusieurs magistrats.
J’ai institué le rituel obligatoire de la tisane du soir et petite dose à petite dose je l’ai conduit à sa fin.
Pour avoir moins de remords je me disais que sa vie de débauche l’entraînait
vers cette issue, je n’ai fait que précipiter les choses !
Voilà ma chérie, tu connais mon secret.
Je n’ai jamais eu le courage de te l’avouer.
C’est plus facile de te raconter cette histoire de ma vie avec le secours de nos chères lectures.
J’approche de ma centième année, il est temps que moi aussi je tire ma révérence, chaque soir j’augmente mes doses de somnifères , j’ai retrouvé quelques pincées de cette vieille poudre qui m’a rendu service autrefois, je vais ce soir en agrémenter largement ma tisane.
Si elle te posait un problème, maintenant la police est soupçonneuse , n’hésite pas à montrer ma confession,c ‘est la haut que j’ai des comptes à rendre.
Ma chère enfant, profite de la vie, lis, écris, amuse toi.
Le notaire, aidé de son clerc, énumérait une liste de biens, j’étais la seule héritière , mais j’entendais à peine, un mot résonnait parfois mais j’en oubliais le sens, bouleversée par cette révélation.
J’imaginais, Tante Sido, surveillant, jour après jour, les effets de sa poudre. Que de tourments a -t-elle du endurer pour en arriver à cette décision, elle si bonne, si pure de tout vice.
Je demandais au notaire quelques jours de réflexion.
Ma décision prise, je me sentais délivrée d’un poids, persuadée que Tante Sido m’approuverait.
Je répartis une somme d’argent conséquente, aux trois personnes qui l’ont côtoyée durant ces dernières années, ceux qui l’ont aimée et assistée des jours durant. Pour ceux qui cachaient derrière leur sourire uniquement de l’envie, ces deux là, je les ai oubliés.
La maison modernisée a été séparée en deux partie, l’une est devenue une maison de lecture ouverte à tous, je m’en occupais régulièrement.
L’autre partie a été transformée en centre d’accueil , des personnes âgées peu fortunées pourront profiter de séjours confortables face à la mer.
Quant à moi, j’avais conservé uniquement le camé de ma tante Sido.
J’avais seulement exigé que la maison et le parc portent son nom.