Lecture de Véronique Le Normand chez Gallimard

Publié le: Mar 02 2016 by Anita Coppet

12742767_1703144869908464_8407292928356997436_nQue reste t-il de notre joyeuse soirée Gallimard Raspail, de l’amitié, de la tendresse, des embrassades… Et la furieuse envie de recommencer. D’ailleurs la date est déjà programmée. Les libraires ont vraiment apprécié, enthousiasmées par cette belle ambiance d’atelier d’écriture et de littérature. Alors nous auront droit à un autre rendez-vous, au Divan cette fois, le samedi 28 mai.

Pour cette première « édition », nous avons été sous le charme de la lecture, grâce à l’écrivain Véronique Le Normand, que ceux de l’atelier connaissent bien. Une voix qui, comme à l’écrit, sait peser les mots, enveloppe et nous emmène. Merci pour son  choix d’un texte de Georges Perros, on ne peut plus en adéquation avec l’écriture. Beaucoup l’ont réclamé. Le voici.

 » Ecrire, c’est peut-être avant tout physique.

J’écris comme je me mouche.

J’ai eu le virus très tôt. Ecrire, c’est une maladie, c’est une maladie qui donne des illusions. Si on est un grand artiste, on y passe sa vie, on se jette dedans. Moi je trempe mon pied dans la flotte. Je regarde si l’eau est chaude ou froide. Je sèche assez lentement, et, le temps de sécher, des gouttes tombent : c’est à peu près l’équivalent des notes Papiers Collés, quelque chose entre le journal et l’almanach Vermot. J’y suis mon propre personnage. Si Je est un autre, je parle de l’autre en disant Je. Si la vraie vie est absente, je parle de l’absence en parlant de ma vie. L’imaginaire, c’est notre vie.

J’écris comme on change de gare, le feu au cul.

Ecrire, c’est prélever un temps opératoire à l’écoulement du temps absolu. Il ne faut qu’un bout de papier et un crayon. La chambre d’un écrivain, c’est le Monde. Encore faut-il se trouver un abri, une cabine, un grenier.

Ecrire nécessite un minimum de solitude, mais au même titre que pas mal de manifestations humaines. L’amour, entre autres, qui profite de la nuit pour souder les monologues.

Ecrire, c’est faire vœu de pauvreté.

Le produit de ma plume ne m’assure strictement rien. Ce que j’écris est voué au pilon. Je ne considère pas comme bénéfique –ça tombe bien- le fait de gagner son pain grâce à sa littérature, ce qui ne veut pas dire qu’écrire est un luxe ou une activité vouée à l’échec social. Mais pour écrire, il est quasiment nécessaire, d’oublier qu’on est un écrivain. Pour l’heure, je suis lecteur dans une maison d’édition. Ce qui me paraît encore trop proche de l’écriture.

Ecrire, c’est une question de timbre, de voix. Un homme qui écrit tend à dépasser ses limites. Or, c’est en écrivant qu’il les manifeste. C’est toujours à recommencer. On peut aussi se confier au maximum, en évoquant, une pierre ou un ciseau ; le « je » est indifférent. Les mots laissent passer le texte, comme les fleurs, le vent.

Ecrire, c’est dire une vérité que la vie ne supporte pas. Quand on écrit à un ami qu’on est malheureux, la personne qui vit près de vous n’en sait rien. Le malheur se change en mots quotidiens, en humeurs, en « scènes ».

Ecrire, c’est dire adieu à quelqu’un à quelque chose qu’on reverra le lendemain. On ne peut pas divorcer.

Ecrire donne envie de lire. Il n’est pas mauvais de savoir qu’on ne sera jamais Shakespeare, sans pour autant renoncer à l’écriture, qui est une manière d’être pas plus déshonorante qu’une autre, pourvu qu’on n’y mêle aucun complexe de supériorité ; ce serait plutôt le contraire, un genre d’infirmité.

Il faut montrer ce qu’on écrit. Ne serait-ce que pour savoir jusqu’à quel point, c’est résistant. Parce qu’en général, les critiques ne sont pas tendres. Publier est quasiment nécessaire, pas obligatoire, mais sain. Il y a par exemple des poèmes qui louchent, ou qui sont bossus. Ils doivent faire leur vie. Il n’y a pas d’île déserte habitable très longtemps. On doit trouver son Vendredi comme Robinson. On a tous un bout de monologue dans la peau. Il faut le donner aux autres, même si l’on s’en méfie. Quand je sens qu’on me vise à travers un jugement, je replie mes oreilles. Que ce soit bien ou mal.

Il faut écrire pendant que c’est chaud.

Ecrire transfigure la vie, ne la change pas. L’homme se sent si peu de choses qu’il ne trouve de répit que dans l’exagération de ce si peu de choses. Les hommes mentent. Le roman essaie d’expliquer pourquoi. Le théâtre, comment. La poésie, seule, et rarissimement, touche le ciel véridique. Parfois, le soir, il me prend l’envie de téléphoner au bon dieu.

Extraits de Papiers collés (Gallimard), arrangement Véronique Le Normand. Suivi de Lettre à Brice Parrain ( Extrait de la correspondance).

Cher Brice,

Le plus beau poème du monde ne sera jamais que le pâle reflet de ce qu’on appelle la poésie, qui est une manière d’être, ou, dirait l’autre, d’habiter ; de s’habiter. Toutes les réactions des hommes relèvent de la poésie. Ça ne trompe pas. La poésie, c’est l’indifférence à tout ce qui manque de réalité. Si vous voulez, Kafka a vécu de cette manière. Le cordonnier du coin aussi. C’est le seul engagement qui vaille, parce qu’il englobe la souffrance. Un homme de cet ordre, je me demande s’il peut pleurer. Mais il peut empêcher les autres de le faire. Cette passion du réel, qui fait longer des précipices, ce goût exclusif, comment ne nous rendrait-il pas plus aptes à comprendre autrui, et pas le comprendre comme ça, non, mais le remplacer, en quelque sorte, le relayer dans son poème interne, retrouver avec lui la source, nettoyer le lit de son eau vive, et remettre en branle la circulation originelle. C’est derrière les mots qu’il faut aller voir, les mots sont des repères qui peuvent nous tromper si on les manipule de travers. Il y a une charge de silence qu’il faut respecter, on ne peut pas comprendre tout de suite de quoi il s’agit, pourquoi ils s’agitent, et le poème écrit n’est jamais qu’un renseignement mieux ordonné. Un peu trop, quelquefois. Un grand poète, c’est un monsieur qui, une fois, ne s’est pas trompé, a pris la voie royale de tous ses possibles. Tant pis pour lui s’il per-sé-vère, s’il-perd-ses-vers, s’il croit qu’il ne se trompera plus, s’il se sacre poète. Et voilà Valéry, dont les précipices se sont changés en trous de souris. Il est probable que nous sommes le poème de Dieu, fragments de langage unique. Il y a des moments de fulguration, qui éclairent nos murs, nos limites, qui nous laissent à penser que tout n’est pas absolument absurde, que le guignol a un bout de sens. La poésie, comme je l’entends, c’est le seul obstacle au suicide. Un homme qui se tue trouve qu’il a vécu à côté, il n’y a pas moyen de se suicider en poésie, puisque c’est, comment dire, déjà fait. En fait, la poésie, c’est de considérer tous les hommes en poètes, comme s’ils étaient des poètes. Et s’y tenir. Aucune possibilité de déception. L’on devient presque malhonnête, on joue sur du velours, c’est à prendre ou à laisser. Il y a comme une interdiction de revenir en arrière, et la mort ne trouvera rien à se mettre sous la dent. On aura fait le boulot à sa place, profitant de l’occasion. Ces jours et ces nuits, ces bonheurs, cet ennui, ce mal au corps perpétuel. Il y a un mot qui disparaît presque entièrement, c’est le mot “solitude”, ce luxe du vocabulaire humain, que l’on hurle dans les oreilles de l’autre. Quel tintamarre ! Moi, je vais vous dire, j’ai envie d’être heureux. Un peu comme on dit bêtement que les clochards le sont. Heureux de rien, et incapables de lever le petit doigt pour figurer dans le spectacle. Mes coulisses, c’est le ciel, la mer, le vent, l’arbre, et qui m’aime me suive ! Je n’en démordrai pas, je n’en démordrai pas, c’est un pacte avec ce qui me paraît plus vrai que tout le reste, avec ce qui me rend à un langage plus modeste, plus fragile par rapport à celui des hommes de société, dont je comprends mal la nonchalance active. Je les trouve résignés, ce n’est pas paradoxal. Un peu rigolos aussi. Je sais, maintenant, qu’ils ne me feront plus jamais mal. Ils pourront m’emmerder, mais pas me convertir. C’est soulageant.

 

J’ai déniché une mansarde où travailler en paix. Une table, une chaise, une lucarne. Un peu comme si je partais à l’école, tous les matins. Tania n’y trouve pas à redire.

 

Je vous embrasse, vous et Éliane.

Écrivez.

 

 

Et aussi.

Ecrire, Marguerite Duras. L’écrivain et la vie, Virginia Woolf. Ecriture Mémoires d’un métier, Stephen King. Manuel d’écriture et de survie. Martin Page.L’art du suspens, mode d’emploi, de Patricia HighsmithL’écriture ou la vie, Georges Semprun

 

 

One Comment to “Lecture de Véronique Le Normand chez Gallimard”

  1. frrancoise Vijoux dit :

    Merci pour ce texte que je vais relire avec plaisir…et merci pour cette jolie photo-souvenir de cette soirée très réussie. Merci, Merci, Merci à vous trois.

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