Nous étions en plein mois de juillet, sur le départ pour nos grandes vacances. Le seul moyen de locomotion dont nous disposions, était un Combi* né en 1971, il avait la particularité de parler lorsqu’il roulait :
» Sur la route, je prends le tempo, le temps de vivre, de routes en chemins, de chemins en voyages. Je m’appelle » Bhagavan « , je fais partie de la race des Combis .
Sur la départementale, c’est plus drôle que sur l’autoroute.
Là, je peux m’amuser à compter les arbres, les fleurs, les abeilles : » j’en prends plein les phares « .
Les paysages défilent, ils sont vrais, bien vivants, tu les respires, ça sent la vie. »
Arrivés devant la Bergerie, le moteur du Combi s’arrêta net, nous venions de tomber en panne. Déjà le remorquage hissait le Bhagavan* dans les hauteurs, là ou les sphères impénétrables jouaient avec quelques barbes à papa.
Les vaches étaient en train de brouter l’herbe en bas de la bergerie, cela faisait un vacarme car certaines marchaient sur des branches de bois secs.
Cette panne ne pouvait être que temporaire, elle avait sa raison.
Situés dans une bergerie plantée au milieu d’une forêt de grands arbres, de houx avec leurs boules rouges, d’herbe verte bien arrosée par la pluie. Ici, les orages tombaient violemment , dans le village qui nous surplombait, les cloches sonnaient à tout va, la croyance crépinoise pensait que le son des cloches éloigneraient la foudre du ciel.
Face à la forêt d’un vert intense, je me régalais avec le petit déjeuner qui se composait de fruits arrosés par du miel de bruyère blanche, la radio était posée sur la table à l’extérieur, elle marchait avec des piles. Les coupures d’électricité pouvaient durer plusieurs jours, dans la région on avait entendu dire jusqu’à dix jours entiers. La radio annonçait un flash spécial suite à la catastrophe mondiale que nous vivions tous : les abeilles ne fabriquaient plus de miel.
La bergerie était petite, les pierres soigneusement posées en équilibre sur les murs, le toit en ardoise, c’était un tableau de nature.
La cuisine pièce principale s’ornait d’un évier en pierre de roche, digne des plus grands livres de décorations. La table longue en bois de frêne laissait imaginer les tablées les soirs où le froid envahissait le vallon. Cette bergerie était une lumière dans la nuit, une étoile sur la Terre.
Les sols en bois où se rencontraient : chêne, buis, marronnier, orme régnaient comme les maîtres des lieux. L’odeur des moutons qui dormaient en dessous jadis, avait imprégné le lieu et les murs. Le plafond parcouru de poutres, avec un peu d’imagination on voyait se dessiner le visage du berger dans le bois, une barbe soignée, un visage anguleux, un regard présent. La chaleur des animaux qui vivaient en dessous avait du envahir la pièce principale, lorsque l’hiver accouchait d’un moins 20 degrés.
Max assis sur les marches se réveillait d’une longue nuit. Il pensait à la valeur de chaque être vivant, la valeur qu’il donnait à sa vie.
Hier, dans la soirée, son ami qui vivait en Inde lui avait envoyé un mail.
Cet ami lui racontait l’histoire d’un sage qui visitait une forêt avec ses disciples. Ce sage se nommait le paisible de la montagne ou encore Bhagavan, prénom très usité en Inde.
Les forêts indiennes accueillaient une variété de végétal d’une grande beauté, des arbres rouges gigantesques aux fruits rares. Une entreprise anglaise avait décidé de couper tous les arbres rouges car ce bois cher, exceptionnel, se trouvait fort bien côté en bourse.
Lorsqu’un des disciples entendait au loin une voix qui venait d’un des arbres coupés :
– L’univers vit, il s’agit d’un être infiniment vaste, chaque humain est intimement lié à lui.
Personne d’autre n’a jamais été comme vous, et jamais personne ne sera comme vous.
L’Amour n’est possible que dans la profonde acceptation de soi, de l’autre, du monde.
Autour de la bergerie régnait le grand calme, des champs d’herbes, de fleurs sauvages à perte de vue, des près parsemés de mauves, millepertuis, genêts, roses trémières, des forêts de vieux acacias, buis, hêtres. Un ciel tout bleu où dansaient deux aigles royaux.
Je vis tout de suite, leurs danses, leurs vols, leurs aisances, ils étaient en train de révérer la vie, ils étaient là pour moi, pour Max, pour nous.
Je préparais une salade de tomate, une variété de tomates anciennes à la peau violette .
La tomate coupée en deux, la chair apparaissait charnue, juteuse, je faisais glisser dessus un filet d’huile d’olive. Sur la table je disposais le fromage de brebis, le pain à l’épeautre et la salade de tomate .
Tout en mangeant, nous nous regardions en souriant, Max allait chercher quelques clous de girofle dans la boîte aux épices car les guêpes commençaient à danser autour de notre table. Les clous de girofle mis en place, le bruit des guêpes disparaissait pour laisser place au chant de quelques oiseaux. Nos rires raisonnaient dans le vallon.
– Lilou, j’ai l’impression d’être ici depuis des mois, c’est la vraie vie, tu ne trouves pas?
J’avais les yeux rivés sur un scarabée, couleur dorée.
– Oui tu as raison, en ce moment je ne me souviens plus de rien, il est beau ce scarabée, il me fait penser à l’Egypte, lorsque nous voguions sur le Nil…
– J’ai lu que l’Egypte ne voulut jamais chercher ailleurs que dans ses temples sa conscience du monde. J’aimais glisser sur l’eau du Nil, au coucher du soleil.
Nos deux chiens s’amusaient à attraper les mouches, il faut dire que nous étions dans le pays des mouches et des araignées.
Le soleil avec ses rayons habillaient chaque être vivant dans la nature.
– Ah, le soleil avec ses énergies il influence notre façon de penser, ce que nous ressentons…toutes les planètes sont en interaction avec notre corps et notre esprit.
Je ressentais de la gratitude pour tout ce qu’il venait de m’arriver tant pour le bonheur que pour le malheur, de la gratitude pour tout ce qui m’était donné dans la vie.
– Lilou, l’essentiel est d’accepter la vie telle qu’elle est.
– Tu as raison Maxou, je pense à cette femme qui était parvenue à l’ultime vérité du Zen*. Un soir elle se retrouva sans abri, sans nourriture, dans un endroit dangereux car il y avait des animaux sauvages, elle trouvait place sous un cerisier au milieu des champs. À minuit elle se réveilla, il faisait vraiment trop froid, elle vit le cerisier en pleine floraison riant à la lune brumeuse. Submergée par tant de beauté elle se leva et en direction du village qui n’avait pas voulu l’accueillir elle dit ces paroles :
» Grâce à leur bonté
À leur refus de me loger
Je me trouve sous cette floraison
En cette nuit de lune voilée … »
En un clin d’œil, nous nous retrouvions sous les marronniers, nus comme des vers, cet instant magique digne du Tao*, nous rapprochait l’un de l’autre dans la musique de la nature.
– Lilou c’est une bénédiction cette panne de Combi, c’est comme le cerisier en fleurs, le jeu de la brume sur la lune, le silence de la nuit, cette femme n’est pas en colère, elle l’accepte, elle l’accueille, elle se sent reconnaissante.
– On devient un bouddha le jour où l’on accueille avec gratitude tout ce que la vie nous apporte.
Je pensais à notre Bhagavan, notre beau Combi et je l’entendais nous dire :
« À nouveau, je roule sur le macadam, ambiance RN7, le nougat, les calissons, les étals de fruits, les villages abandonnés, les stations service qui ne te servent plus.
Au prochain virage : je tangue, courbes, zig zag, le volant tremble, le vent nous pousse ».
Il est vingt heures au clocher du village, les chauves souris dansent dans le ciel, la nature est à son comble, son travail à présent est de répandre son parfum dans l’existence, quelque chose d’absolument essentiel, de fondamental : » ceux qui disent à une rose, deviens un tournesol ! et à un tournesol, que fais-tu là ? », créaient la folie dans le jardin de la vie.
Personne ne peut être quelqu’un d’autre, là est la musique de la nature.
Combis* : Du nom du Volkswagen Combi, dans lequel Combi est l’abréviation de l’allemand Kombinationenwagen, « véhicule multi-usage ».
Bhagavan* : « Celui qui est béni ».
Tao*: Philosophie chinoise de l’équilibre inspirée par l’observation et la contemplation de la nature.
Zen* : Le Zen est une voie d’authenticité et d’éveil.
En rencontrant une amie , l’autre soir , elle me dit : »C’est difficile de répondre à cette question, mais qui suis-je?! » c’est vrai qui suis-je?
« Je décide ici et maintenant d’être un outil conscient de l’être suprême! » à suivre…. dans « Les Chroniques de Lime ».
Très beau style, on s attache aux personnages, ils deviennent familiers, la nature est très presente, on perçoit ses couleurs et ses odeurs…
Bravo au plaisir de vous lire à nouveau !
c’est très joli, ça sent bon la nature et le printemps, merci pour autant de simplicité ; quand je ferme les yeux j’y suis …
c’est frais comme les pieds nus dans l’herbe le matin ; j’ai hâte de lire un autre paysage.
Magnifique. ! J’aime ce style où on a envie de suivre la personne, de partager ses impressions et sentiments…. très beau récit… Bravo