Le clocher venait de sonner les 19 heures…
J’aperçus mon vieil ami Guillaume qui rentrait de sa pêche :
– Alors la drôlesse, tu es revenue ? Pour combien de temps cette fois ? dit-il de sa voix rauque.
– Pour toujours, Guillaume.
– Mais il faut fêter l’évènement, ma belle. Des pétoncles et un petit verre te diraient ?
En dégustant les coquillages en éclade, juste ouverts sur des aiguilles de pin, accompagnés d’un verre de pineau, notre enfance nous revint. Le vent soufflait en rafales, le feu crépitait, nous étions bien.
– Dis-moi Guillaume, pourquoi ne t’es-tu jamais marié, osais-je lui demander.
– Disons que je ne me suis jamais défait de la petite Marie si espiègle et si gaie, attifée de son maillot de laine rouge et coiffée d’un horrible chapeau de paille. A vingt ans elle faisait le bonheur de toux ceux qui la croisaient…Tu as fait un choix…
C’était vrai, mais aujourd’hui ce que je veux c’est revenir ici. J’y ressens une pulsion de vie, grâce aux bulles de bonheur lovées dans ma mémoire…
Et je me souviens…
Je passais chaque vacance dans ce village rétais, où mes grands-parents possédaient un chai abrité de murs de pierre protégeant des vents de noroît, un figuier et un jardin de curé.
Un havre de paix, difficile à dénicher dans cette venelle où les passeroses montaient la garde, en bons soldats hauts en couleurs.
Selon l’heure, les belles de nuit ou de jour clignaient de l’œil aux visiteurs.
Quel que soit le temps, vents violents, tempête, j’aimais me promener sur la plage de Montamer, toujours fascinée par ce paysage si changeant de jour en jour, d’heure en heure, tel un kaléidoscope.
Passionnée de dessin, je ne me lassais pas de croquer le phare de Chauveau… J’observais les vagues qui, avec élégance, venaient se briser sur le flanc du phare, assumer leur destin, avant d’être aspirées par le large…
Le ciel, traversé d’un vol de bernaches, invitait au voyage.
Un jour, un jeune homme m’aborda, me demandant ce que je dessinais avec mes pastels.
Il se présenta : « José, je suis étudiant en droit. »
J’étais farouche, mais sensible à ses yeux verts si pétillants.
Nous nous revîmes tous les jours et à la fin des vacances José me proposa un rendez-vous sur la plage au soleil couchant.
Il me fit découvrir le nom des étoiles et des constellations…Vénus, Andromède, Cassiopée…Promesse d’infini !
Quand il me prit la main, je découvris le sens du mot désir.
José m’offrit mon premier baiser, tendre, fragile, si pudique, ma première caresse sur mes lèvres vierges.
Nous nous sommes quittés, juste le temps de nos études, puis mariés.
On nous appelait les âmes sœurs ! Lui le sage, moi l’artiste.
José et moi ne faisions qu’un.
Nous vivions un petit appartement à la Rochelle, rêvant sur la chambre d’amis…
L’envie d’un enfant vrillait nos cœurs.
Pour José, ce serait une petite fille brune, rebelle, gaie et pour moi un clone de José aux yeux verts… Mais qu’importe, le destin ferait son choix.
Un soir d’août, sur la plage où nous nous étions rencontrés, le ciel constellé de diamants, la brise du vent exquise, et l’iode enivrante furent les seuls témoins de notre nuit d’amour sur le sable.
Je ne sais pas si je dois l’avouer, mais ce soir-là ce ne fut pas un orgasme que je ressentis mais une chose inouïe, comme une pluie d’étoiles me traversant le corps. Etrange et folle sensation qui m’apporta la certitude que la vie était venue en moi comme un secret qui me métamorphosait en me rendant unique.
Mon instinct ne m’avait pas trompée. Quelques semaines plus tard, je sus que j’attendais un enfant.
Mais, comment l’annoncer à José…
Je déposais sur la table deux chaussons de bébé, un bleu et un rose au milieu de fleurs et de bougies.
José fut fou de joie, fou de moi, fou de bonheur.
Nos soirées devinrent un jeu de prénoms, jusqu’à l’épuisement total du calendrier !
Les fins de semaines, nous aménagions la chambre en un nid douillet comme savent si bien le faire les oiseaux.
Les mois passèrent euphoriques. Ce serait un garçon, Nicolas.
Le soir, nous lui parlions, allongés sur le lit et Nicolas manifestait des petits signes fragiles d’une vie espérée et pleine d’amour…
L’hiver s’installa. Nicolas et moi faisions de grandes promenades sur la plage et ramassions des gorgones pour en faire des bouquets.
Nous étions heureux !
Un soir de mars, je ressentis une peur inexplicable. J’avais froid, terriblement froid et alors qu’il était bien trop tôt, je perdis les eaux.
José m’emmena à la clinique où le médecin nous rassura. Tout allait bien mais il faudrait une césarienne. Ce fut un énorme choc (POURQUOI ?)
Au moment de perdre conscience, mes pensées s’envolèrent vers Nicolas. « Je te donne la vie » murmurais-je.
A mon réveil, José était près de moi, les yeux remplis de larmes.
Ma vie bascula. D’ailleurs que restait-il de ma vie ?
Nicolas m’avait trahie !
Mon retour à la maison fut un enfer, il me semblait pénétrer dans les limbes des enfants.
Je n’avais devant moi que du noir, aucune raison de vivre…Le monde m’était devenu invisible.
Mon corps ne réagissait plus, j’étais dévorée par la douleur, ne pouvant me résigner.
Je restais obsédée par ce cruel sort du destin m’ayant interdit de donner à cet innocent mon sang qui eut été le sien.
Je pris conscience que notre couple allait à la dérive et y prenais un malin plaisir comme pour donner pour une estocade finale à mon agonie…
J’y aboutis. José me quitta.
Par jour de tempête, j’allais sur la jetée narguer les déferlantes. Elles ne voulaient pas de moi, où était-ce moi qui n’avais pas le courage de me jeter dans leurs bras.
Je hurlais en caressant la cicatrice sur mon ventre, en ces instants proches de la folie. Le vent emportait ma souffrance, la pluie me lavait de mes larmes.
Je traînais ma misère des années durant jusqu’au jour où un homme vint à mon secours.
Allongée sur un divan, je pus, enfin, mettre des mots sur mes maux. Ce fut un voyage douloureux, mais des feux follets de douleur s’échappèrent de mon cœur. Et si je ne pouvais accepter ce deuil, je réussi à sublimer mon désarroi un tant soit peu…
Le temps devint un allié et les choses de la vie reprirent leur cours.
Trente ans ont passé.
Et je me retrouve Ici, dans la maison de mon enfance, avec Guillaume, qui vient de remettre une bûche dans l’âtre, et d’allumer la lampe à huile.
Les vents deviennent de plus en plus violents, des bourrasques de pluie martèlent les volets.
Un silence s’est emparé de nous, mais Guillaume le brisa :
– Et toi Marie, pourquoi ne t’es-tu jamais remariée ?
– Confidence pour confidence, j’ai su très vite que je n’aurais pas de seconde chance d’avoir un enfant. J’aimais José, je voulu lui redonner sa liberté, et comme je n’aime pas les faux semblants, je ne concevais pas de mentir à un autre homme.
Il détourna les yeux et se tut. Je remarquais son mal être.
– Te souviens-tu, Guillaume, quand mon père nous emmenait à la pêche à la palourde. A l’époque, on ne grattait pas le sable puisqu’à la marée remontante, deux petits trous indiquaient qu’elles manquaient d’air. On les sortait de leur niche avec les doigts et on avait l’impression qu’elles se débattaient pour leur survie. Des couteaux, des bigorneaux, des crevettes devenaient un trésor.
Moments exaltants couleur sépia que Je veux réanimer.
Ici, cette maison est mon refuge. Dans ce village, le vent est ma musique, l’iode mon parfum, l’horizon mon regard. Cette plage restera « Ma plage » où le mot AIMER fut tant effeuillé.
Guillaume me sourit, posa un plaid sur mes genoux et je m’assoupis enfin délivrée du lourd secret de ma vie.
Je ne savais pas à quel point tu nous a tant aimé… Merci.
Le talent littéraire d’Annie ne me surprend aucunement. Sa sensibilité exacerbée, sa finesse de discernement, l’amour et l’écoute des autres lui permettent de retranscrire ses sentiments avec aisance. Elle mérite d’être remarquée et encouragée dans cette voie où déjà au Lycée elle excellait.
C’est une bien jolie plume…. qui a écrit ces lignes pleines d’amour, de douceur, de force et de courage. J’aime ces lignes bercées au gré des vagues de cette mer que nous aimons tant.
Quel talent!!!! « CONFIDENCES » est un cri d’Amour, de Désespoir mais d’Espoir. Une belle leçon de Vie.
Te lire n’est que du Bonheur………..
Une suite de mots simple et généreuse produisant un texte puissant et plein d’amour.
Les talents ne se cachent parfois pas très loin! Aux éditeurs maintenant de montrer le leur.
Hate de voir Annie Quiles bientôt chez mon libraire.
Guillaume
Le talent littéraire d’Annie ne me surprend aucunement. Sa sensibilité exacerbée, sa finesse de discernement, l’amour et l’écoute des autres lui permettent de retranscrire ses sentiments avec aisance. Elle mérite d’être remarquée et encouragée dans cette voie où déjà au Lycée elle excellait.
Que de poésie dans ce très joli texte, mais aussi que de souffrance avalée mais non digérée, que l’on ressent au travers des lignes. Mais une lueur d’espoir semble poindre à l’horizon. Le soleil se couche sur la mer mais à l’aube il renaît au dessus des vagues. Toujours garder l’espoir dans le cœur. Bravo Annie.
Chère Annie, ce texte te ressemble, léger comme une Plume et si expressif, tellement toi et tellement plein de de cette absence jamais comblée… Ceux que tu aimes ont bien de la chance d’être chéris par toi, mais je ne doute pas un seul instant qu’ils te rendent cet amour largement et cela aussi n’a pas de prix… continue à nous emmener dans tes rêves. ..
Que d’émotions ! que de douleurs! que de souffrances! Heureuse d’avoir lu cette nouvelle…je m’y retrouve dans certains passages…Merci Plume..