Récit : « Carmen » par Dominique Enderlin

Publié le: Août 08 2014 by admin

Mon prénom est Carmen, j’ai 40 ans et je travaille dans l’évènementiel. J’habite un joli village du sud de l’Espagne. Et je sais très bien comment me décrivent les gens : très grande, de jolies jambes, un visage remarquable qui fait se retourner les hommes, des cheveux noirs longs et bouclés. Un teint hâlé, la démarche aguicheuse. Et surtout une fâcheuse tendance à rire trop fort. Et impulsive, parfois. De bonne compagnie. Pas râleuse pour un sou, toujours de bonne humeur. Une réputation de mangeuse d’hommes. De quoi mettre en rogne ces dames, lorsque leurs hommes croisent mon regard.

Je suis mariée à Ziki, qui est un grand métis allemand, bien bâti, d’une beauté à couper le souffle, un vrai tombeur. Nous nous étions rencontrés lors de l’un de mes mandats. Mon offre avait été sélectionnée parmi une dizaine d’autres. Je devais organiser son mariage avec une certaine Louisa, celle qui m’avait engagée. Une jolie fille, certes, mais pas à la hauteur de son canon de fiancé. Ils habitaient tous deux le village voisin. Et nous ne nous étions jamais croisés. Seulement voilà,  l’impensable arrivât. A la croisée de nos regards, un véritable coup de foudre, réciproque, s’était produit. Il ne pouvait en être autrement. Et malgré les lamentations de sa fiancée, et les réflexions désobligeantes de mon entourage, nous nous étions tout de suite mis ensemble et étions mariés tout aussi vite. Ce fût l’une des plus belles périodes de ma vie. J’étais heureuse !

La mère de Louisa s’était bien sûr chargée de me faire une réputation d’enfer. Cela n’avait en rien altéré mon travail. Au contraire, je recevais plus de propositions d’organisation de mariages, vu que j’étais très compétente dans mon domaine et que étant maintenant casée, mes clientes n’avaient plus rien à craindre de moi.

Tout allait bien selon moi. Ziki étant consultant en management, il se déplaçait souvent pour son travail. Et c’était toujours une joie pour nous de nous retrouver après chaque voyage. Bien que je veillais toujours à regarder si parmi les contacts qui se trouvaient dans son téléphone, il n’y avait pas un prénom de femme inconnu de moi qui s’y serait  glissé. Et également à bien sentir ses chemises, pour y dénicher un autre parfum que le sien.

Nous menions une vie plutôt confortable, ne nous refusant pas grand-chose : des week-ends à l’étranger, de bons restaurants, des spectacles, des concerts. Nous invitions souvent du monde à la maison. Des personnes qui aimaient la bonne chair et le bon vin, des gens qui savaient vivre. Le couple avec lequel nous nous entendions le mieux était Isabella et Adrien. Nos voisins d’en face. Malgré nos emplois du temps chargés, nous faisions en sorte de nous voir souvent. C’est avec eux que nous allions à des concerts, à des spectacles. Il y avait une sorte d’alchimie entre nous quatre. Isabella était une belle femme sans prétention, cela ne m’empêchait pas de me méfier d’elle. Autant, mon homme était quelqu’un d’impulsif, de joueur, de fonceur, autant son ami était plus réservé, plus mou, plus introverti. En plus, il était petit et trapu et très velu. Mais le courant passait entre eux. Tout comme avec Isabella et moi-même, je me sentais au diapason. Et puis, c’était pratique. Je savais Adrien fidèle et très amoureux de sa femme. Un bon exemple pour Ziki. Car malgré ses démentis, je savais que de nombreuses femmes se retournaient sur son passage. La tentation pouvait être grande . J’aurais eu trop peur qu’une de ces garces sans scrupule me le pique. Dieu sait qu’il y en avait dans le village.

Ma mère m’avait déjà fait une ou deux réflexions, mais c’était ma mère et je ne les avais pas prises en considération. Vu que elle et moi, nous ne nous n’étions jamais très bien entendues. Moins je la voyais, mieux je me portais. Ce n’était pas parce que elle avait eu cinq mariages, tous ratés, qu’elle pouvait me faire la leçon. Si elle était si maline, justement, pourquoi n’avait-elle pas réussi à garder un seul de ces époux.  Alors, ses conseils… Grâce à la vie, j’avais appris une chose. Certains ne supportent pas le bonheur des autres. Il y a toujours des oiseaux de mauvais augure. On ne vivait peut être pas dans un monde parfait, mais mon mariage lui l’était. Qu’on se le dise !

Je dois quand même reconnaître que juste une fois, nous nous étions sérieusement disputés. C’était à propos de son ex-fiancée. Je ne l’espionnais pas, mais en fouillant son téléphone par hasard, j’avais remarqué que celle-ci lui avait laissé plusieurs messages mielleux et l’appelait régulièrement. Aucune dignité, celle-là. Il m’avait vite rassurée en me disant qu’elle le harcelait  parce qu’elle avait toujours des sentiments pour lui. Mais pour lui, tout était bel et bien fini. Il n’y avait plus que moi dans sa vie. C’était vite vu, je lui avais alors suggéré de changer de numéro de téléphone. Ce qu’il avait fait très vite. J’étais soulagée.

Alors, le choc que cela a été, lorsque  Ziki m’a annoncée par téléphone qu’il me quittait ! En même temps, avec un prénom pareil, j’aurais dû me douter qu’il me ferait un coup tordu de ce genre. Je me souviens d’ailleurs que ma chère mère m’avait dit : « Celui-là, je ne l’aime pas. Il sent la pisse chaude. ». Habituée à ces expressions qui n’avaient parfois ni queue, ni tête, je n’avais pas voulu qu’elle développe le sujet.

Il demandait le divorce. Carrément. Pourquoi est-ce qu’il ne se présentait pas devant moi, pour me dire tout cela en face ? Parce que j’étais trop impulsive. Bah, voyons ! Je ne l’avais pas vu depuis hier, parce qu’il était en déplacement pour son travail. Et devait rentrer ce soir. C’était faux. Il m’avait alors avoué, qu’en fait il avait pris une chambre dans un hôtel oú il comptait s’installer le temps que je trouve un nouvel appartement. Ziki était tombé amoureux de quelqu’un d’autre et comptait s’installer avec. Je suis sortie de mes gonds. Qu’est ce qu’il me reprochait ? Qui était cette pétasse ? Pour qui se prenait il pour croire qu’il pouvait me quitter d’un claquement de doigts ? Savait-il à qui il avait affaire ? J’ai toujours été une femme fière, très fière et là, en ce moment, je ne me reconnaissais plus. Je me suis mise à me lamenter  comme une gamine pour récupérer mon amour. Je ferais tout ce qu’il voudrait, je changerais… Je n’avais plus d’amour propre. C’était sûrement pour son ex. Ou alors, cette fille avec qui il avait échangé des textos plus que douteux, pendant les premiers mois de notre mariage. Il n’y avait pas d’autre explication. Il eu beau me convaincre, que ce n’était pas le cas, je ne le croyais pas. Ce jour-là, tout l’étage m’a entendu pleurer, supplier, négocier, menacer. Rien n’y a fait. Il avait raccroché. Je suis alors allée sonner à la porte de nos voisins pour trouver du réconfort et demander à Adrien de m’aider à convaincre mon homme, mais il n’y eut pas de réponse.

J’ai passé toute la nuit à fouiller partout dans la maison. A rechercher un indice. Il avait emporté une bonne partie de ses affaires sans que je ne m’en rende compte. Je n’avais rien trouvé. Le lendemain matin, abattue, nerveuse mais très décidée, je me suis rendue sur le lieu de travail de cette ex fiancée. Cette grue ! J’avais pourtant un rendez-vous très important ce matin-là, qui pouvait me rapporter des milliers d’euros, mais je n’en eu cure et je fis un scandale de tous les diables. Elle semblait tomber des nues. Mais on ne me la fait pas à moi. La menace d’un appel à la police par ses collègues me faisait finalement déguerpir.

Je suis rentrée chez moi, folle de rage. J’avais essayé de joindre Ziki, rien à faire. Il avait bouclé son téléphone, le salaud.  Je ne savais plus quoi faire, lorsqu’on a sonné à la porte. J’ai vite été ouvrir, m’attendant à lui. C’était Isabella. Toute en pleurs. Elle tenait une lettre à la main. J’ai failli lui demander de repartir, je n’avais pas le temps de régler les problèmes des autres. J’en avais assez moi-même. Puis je me suis dit que, elle devait être au courant. J’ai alors commencé une longue tirade de mots vengeurs envers Ziki, que j’allais lui faire la peau, que je ne me laisserais pas faire… Et si c’était elle, en fait, celle pour qui ce misérable me quittait ? J’ai commencé à l’insulter, m’attendant à ce qu’elle réagisse.  Mais elle s’est effondrée devant moi et m’a tendu la lettre. Que j’ai lue. Adrien la quittait. Pour un homme. Quelle horreur, j’ai pensé, quelle honte ! Je m’en sortais plutôt pas mal, finalement. Nos deux lâches nous abandonnaient. Mais moi, au moins, je pourrais marcher la tête haute. Il y avait toujours une situation pire chez le voisin pour vous redresser le moral. Je ricanais presque en mon fort intérieur. Je ne comprenais pourtant pas cet attrait, Ziki et moi l’avions surnommé le lémurien. A qui pouvait-il bien plaire ? Quel désastre ! Elle devait l’avoir vraiment dégoûté des hommes pour qu’il lui fasse un coup pareil. Ce n’était pas à moi que cela arriverait. J’ai toujours été un bon coup. Ziki reviendrait, ce n’était qu’une question de jours. Aucun homme ne m’a jamais abandonnée. C’est toujours moi qui suis partie.

Je me tournais vers elle, pour la consoler, lorsqu’elle m’a conseillée de finir la lettre. Le ciel m’est alors tombé sur la tête : en post scritum, ce mec, c’était Ziki.

9 Comments to “Récit : « Carmen » par Dominique Enderlin”

  1. Bien écrit, inattendu! et savouresement décrit!

  2. N'GUESSAN Franck dit :

    Belle chute! je ne m’attendais pas à ce qu’un si beau mec avec une si belle femme s’enfuit avec le voisin… La suite, entre voisines esseulées …

  3. Edith Ferrándiz dit :

    J’ai bien aimée, le récit donne le goût et envie de continuer jusque à la fin, un suspense….sympathique et inattendu

  4. Vinarella dit :

    Suspense garanti jusqu’à la fin, on vit l’histoire du début à la fin, la description des personnages et concise, et le décor et très bien planté. Bien joué!!!

  5. Yannick dit :

    Super bien ecrit, je ne suis un un grand lecteur mais j’ai tout de suit crocher!
    Que ce passera t’il avec les deux voisine?… Un revanche ou une histoire d’amour de leur coté?…

  6. Pier dit :

    Un texte de charactère qui fonce au rythme des images et de sentiments vifs. On sourit à lire Carmen, on la suit volontiers de ligne en ligne, on reçoit cette énergie et…boum. Mais au final c’est moins la chute que le style qui donne envie de la relire plusieurs fois et encore.

  7. jc et claire CANET dit :

    Bravo Dominique! Très bien écrit! Un véritable talent pour l’écriture! Continue et n’hésite pas à nous faire part de tes textes!

  8. Laetitia ( la grande) dit :

    J’ai beaucoup apprécié mais quel talent Dominique ah ah, je découvre une autre facette de toi. En tout cas c’était très bien,

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